Petit dictionnaire des idées reçues

Corina Ciocârlie
Discrimination
Lifestyle

De A comme Auslänner à Z comme Zigeiner.

Le Luxembourg multiculturel vu par les écrivains.

Accueil

« (…) nous avons établi une longue liste de choses qui n’auraient pas pu exister si le Luxembourg n’avait pas été une terre d’accueil : les bières portugaises à un euro chez Nuno, dis-je, les beaux-frères aux noms mythologiques, dit mon ami (car son beau-frère s’appelle Thor, ou Odin, ou Balder, ou quelque chose dans ce genre), les repas danois, ajoutai-je. Puis lui : le mec de ta sœur (sa mère est allemande), moi : et sa camarade de classe libanaise ; lui : le nouvel an chinois, ou attends, j’ai mieux, mon voisin polonais qui me prêtait toujours son teckel ; moi : mon voisin américain qui m’a fait découvrir November Rain de Guns’n Roses quand nous avions douze ans ; lui : ma voisine britannique qui m’a fait ma premi… Oui bon, l’interrompis-je, je veux pas savoir. » (Ian De Toffoli, Les Travaux d’Énée, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Adoption

« yuki ne veut pas devenir reine. elle sera impératrice. c’est ce qu’elle a dit. sa mère l’appelle toujours meine kleine kaiserin. ce que je ne comprends pas chez yuki, c’est qu’elle, elle a les cheveux noirs et lisses et longs. elle a une frange qui lui descend sur le front. et sa maman a les cheveux blonds. est-ce que les mamans aux cheveux blonds peuvent avoir des enfants aux cheveux noirs ? les dents de yuki sont petites et blanches, et ses gencives bien hautes. et elle a les yeux bridés. je ne sais pas si c’est vers le haut ou vers la bas, mais ils sont bridés et ce ne sont pas les mêmes que ceux de sa maman. yuki parle allemand, comme sa maman. va savoir pourquoi il y a des enfants qui ne ressemblent pas à leurs parents. mais ça m’étonne. » (Alexandra Fixmer, la reine du lampertsbierg. une enfance luxembourgeoise)

Assimilation

« Une image hante mon esprit : mon nez est un robinet, et, au-dessus de ma tête il y a un entonnoir, tube enfoncé dans mon crâne. Une main ouvre le robinet et je coule de moi-même comme si mon moi était un liquide quelconque. En même temps, au-dessus de ma tête, une main verse un liquide tricolore, rouge blanc bleu, dans le cône de l’entonnoir, et gicle en moi un autre moi liquide. C’est comme si, avant une transfusion, on me vidait de tout mon sang, pour me remplir à nouveau. Faire sortir l’âme pour en réintroduire une autre. Transvasement, afin que je sois, intérieurement, pareil à ceux qui transvasent. Âme pareille, sang pareil, assimilé, intégré. (…)

Une assimilation n’est normalement réussie que si l’assimilateur et l’assimilé se ressemblent comme deux gouttes d’eau. En apparence du moins. Car par définition, l’assimilateur reste au commandes de l’assimilation. Il permet donc à la goutte de devenir comme lui, à la condition qu’elle ne le remplace pas. » (Jean Portante, La Triste et Improbable Histoire du cheval de Troie, in Luxembourg, les Luxembourgeois. Consensus et passions bridées)

Asylebewerber (ou Réfugié, ou Räfüjiä)

« Mir koume fur Sarajevo. (…) Mir sinn op München komm. An Däitschland. Do wollten se eis net. Du si mer op Düsseldorf gaangen. Dat ass och an Däitschland, mä do hu mer däerfe bleiwen. Do sinn ech och Flüchtling ginn. Asylbewerber, seet meng Mamm. Asylbewerber ass méi richteg. Dann eben. Hei zu Walfer nennt all Mensch mech Flüchtling. Oder réfugié. Sou gëtt et op Franséisch geschriwwen. Ech sinn zimlech gutt am Franséischen. Mä d’Leit soen all Räfüjiä. Mat sechs Méint sinn ech also Räfüjiä ginn. Elo hunn ech bal véierzeng Joer – net Méint – a sinn et nach ëmmer. Ech sinn esou laang Räfüjiä wéi de Laurent Lëtzebuerger. De Laurent ass nämlech genee sechs Méint méi jonk wéi ech. An net esou blöd wéi déi aner Jongen a menger Klass. » (Tullio Forgiarini, Phantasialand in Iwwer Bierg an Dall. Lëtzebuerger Auteuren op der Rees)

Auslänner

« Just ech. Well deen Dag sinn ech Auslänner gin. Italiener. Houren Italiener. Also net ganz. Well, wann een eppes muss sinn, da sinn ech wuel Lëtzebuerger. Awer Lëtzebuerger mat engem echsikeerichtegeLëtzebuergerTick. Ech mengen et ass wéinst dem Guy. Et ass wéinst dem Guy, dass ech, obwuel mer Fussball schäissegal ass, heemlech zu deenen Himmelbloen halen, obwuel se arroganten, ellene Fussball spillen. Oder, nach schlëmmer, dass ech bei der Formel 1 (jo, jo, ech weess : ideologesch, ekologesch an… Och soss total verwerflech ) ech trotzdem luussen ob net ee Roude vir ass. An, et ass wéinst dem Guy, dass ech mech, als gudde Lëtzebuerger, trotzdem fir de Berlusconi schummen. Stellvertrietend fir all déi houer Italiener déi dat net maachen… » (Tullio Forgiarini, Un deen Dag wou ech Auslänner gi sinn, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Até a proxima

« Oubliée, égarée à proximité des boutiques HermèsVuittonBoss et consorts qui ont graduellement pris possession des ruelles du centre : la ‘pension-snack’ chez Mami, rue des Bains, où des rouquins bègues s’égosillent de bonne heure dans leur téléphone portable, où de vieux messieurs germanophones viennent se requinquer d’un grand verre de coca mélangé d’alcool de pomme (la fameuse goutte ou Drëpp, qui ferait déborder plus d’un dé à coudre), où le patron a les gestes alentis d’un qui pourrait être cardiaque et un sourire d’ineffable douceur, où les Portugais fument comme des Portugais en feuilletant A Bola ou le Diário das Noticias. (…) Tant qu’il subsistera des endroits comme celui-là, il devrait être possible de survivre ici. Ou de vivoter ? De survivoter. Até a proxima. » (Gilles Ortlieb, Sous le crible)

Belsch plaasch

« et puis c’est loin aussi, la belsch plaasch. c’est presque une journée entière passée en voiture. il faut passer des montagnes vertes et passer la grande ville avec l’atuniom. en route nous nous arrêtons toujours pour boire un schoki là où tous les luxembourgeois qui vont à la belsch plaasch s’arrêtent avant de prendre la grosse autoroute. » (Alexandra Fixmer, la reine du lampertsbierg. une enfance luxembourgeoise)

Beloved Stranger

« I love you and I wonder what would be if we had never met? The others, strangers to me, would love you, and I would have to ask you: What do you want with these strangers? Why don’t you drop all these blokes and get to know me instead? If you want, I can come to you incognito. » (Guy Rewenig, Your Heart of Ice is Hot as Vice)

Black & White

« JULIEN?Allô ? Le cadavre, il... il ne respire plus ! JESSICA Sûr ? JULIEN?Sûr ! C’est un vrai cadavre. (soupir de soulagement) JESSICA?Et elle est comment au fait ? JULIEN Comment... quoi ? JESSICA Une vieille ? JULIEN?Non, plutôt jeune... trentaine, quarantaine je dirais  (…). JESSICA C’est affreux, n’est-ce pas ? JULIEN Oui, affreux... Un ange passe. JESSICA Black ? JULIEN Hein ?... Pourquoi tu demandes ? JESSICA Ben... juste comme ça. Beaucoup sont noirs... C’est affreux ! JULIEN C’est affreux d’être noir ? JESSICA?J’ai pas dit ça ! Tu déformes toujours tout ce que je... JULIEN Pardon... désolé... je ne... et non, elle est tout ce qu’il y a de plus blanche... » (Tullio Forgiarini, Du ciel)

Bouffeurs de macaronis (ou Spaghettifrësser)

« Et en repensant à Mrs Haroy, c’est mon propre itinéraire qui s’est souvent imposé, ressemblant étrangement à celui dont a parlé l’instituteur Schmietz, puisque moi et ma famille, excepté peut-être mon frère Nando qui s’appelle de nouveau Fernand et se sent comme un poisson dans l’eau à Differdange, nous n’appartenons déjà plus à Cardabello, même si nous parlons encore la langue de là-bas, sans pour autant faire entièrement partie de Differdange et ses habitants qui nous regardent de travers et nous traitent de boccia et de bouffeurs de macaronis et de putain d’ours quand nous ne pouvons pas les entendre. » (Jean Portante, Mrs Haroy ou La mémoire de la baleine)

„(...) dem Marco seng Mamm italienesch war, säi Papp war Lëtzebuerger a si hu Siebenaler geheescht. Datt se als Spaghettifrësser gehandelt goufen, hat mat der Mamm ze dinn a virun allem mat däer hirem Papp, dem Nono, dee bei hinne gewunnt huet a keng aner Sprooch geschwat huet wéi ebe säin italieneschen Dialekt. Iwwer hien sinn eng Rei onsympathesch Geschichten zirkuléiert, vun deenen ech awer net weess ob se stëmmen oder net. Vu Messerpickereie gong Rieds a vu Fraegeschichten, déi béis ausgongen. De Nono huet hannenaus Kanéngercher gehal, déi den Noperen zevill gestonk hunn, an huet iwwerall hi gespaut, op den Trottuar, den Noperen op d’Trap an och an de Bus, obwuel do gläich e puer Schëlder waren, op deene stung Interdit de cracher et de fumer.“ (Nico Helminger, Net op d’Erzéiung erafalen…, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Buon appetito !

« Avec Sola, j’explore la gastronomie luxembourgeoise. Elle aime beaucoup la pizzeria à deux pas du supermarché. Monsieur le Garçon est Africain, comme nous. Il dit mille grazie, come va, buon appetito, que bella signorina, mais il vient du Cameroun, mon frère. Je dis : Qui t’a appris l’italien, Monsieur le Garçon ? Ton patron ? Il dit : Mon patron vient de Lettonie, mon frère. Il m’a appris le Luxembourgeois. Je dis : Alors c’est le cuisinier, le maître des belles pizzas ? Il dit : Le cuisinier vient de l’Ouzbékistan. Il m’a appris le portugais. Je dis : Parce que sa femme est portugaise ? Il dit : Sa femme est marocaine, mais elle a travaillé en Angleterre, chez un célibataire roumain qui avait un commerce de vins de Porto. Je vous sers un apéritif ? Nous avons un excellent pinot grigio d’Australie. Je dis : Oui, mon frère, sers-nous un excellent pinot, mais qui t’a appris l’italien ? Il dit : La carte des menus, mon frère. » (Guy Rewenig, Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou)

Cactus

« (…) je ne peux pas les blairer, les cactus. Ils me font toujours penser à un mauvais western américain tourné au Mexique. Je déteste le Mexique, l’air y est trop fin. Voilà pourquoi j’ai comme une allergie aux cactus. » (Guy Rewenig, La Cathédrale en flammes)

Cannibales

« le jour où boma n’a pas été d’accord avec madame menzdorf, elle est rentrée et elle a dit à bopa que traîner l’arbed dans la boue dat ass awer lo zevill. parce que ce jour-là, madame menzdorf a raconté qu’à l’arbed de dudelange deux femmes de ménage avaient disparu. les ingénieurs de l’arbed avaient ramené de bornéo un boeing rempli de cannibales pour travailler à la schmelz de dudelange et d’esch. ils étaient arrivés au findel avec leur peau brune ne portant qu’un slip et un petit os dans le nez. oui, parfaitement, madame, un os dans le nez comme ici les dames portent des boucles aux oreilles. mais deux femmes de ménage avaient disparu depuis que les cannibales de bornéo étaient venus y travailler. non mais vous vous imaginez, ils mangent des femmes de ménage luxembourgeoises et l’arbed ne fait rien. » (Alexandra Fixmer, la reine du lampertsbierg. une enfance luxembourgeoise)

Cap-Verdiens

« Avant-bras tatoués, éclats de l’or aux poignets, apéritifs ambrés et Cap-Verdiens en chemise immaculée. Un dimanche matin au café Figueirense. » (Gilles Ortlieb, Gibraltar du Nord)

Culinary Barbarians

« The Chinese eat dogmeat, can you believe it!, we Europeans cry, outraged. And we’re so right: those pathetic dog hamstrings stand no chance against our pork knuckles, and their meagre ribs are no match for our lamb chops. Also, whatever you may try to make of a dog snout, it’s a joke compared to our ox tongue salad. » (Guy Rewenig, Your Heart of Ice is Hot as Vice)

Deuxième génération

« Je suis donc devant la porte du pays, comme le chien géant qui s’apprête à sauter dans l’océan. À ceci près que mon océan est derrière moi, et que devant il n’y a, en réalité, qu’une flaque d’eau. Dans ma tête il y a mes frontières et mes racines. Je me retourne. L’océan, derrière moi, a disparu. Ne reste plus que l’appel de la flaque d’eau. C’est cela qu’on appelle la ‘deuxième génération’. La première, celle qui a permis au chien de devenir baleine, tout en gardant son poumon, avait le choix. La deuxième, non. On dira de la première : elle a eu du mal à s’intégrer. Ou : il faut plusieurs générations pour s’intégrer. Ou : il faut plusieurs générations pour s’intégrer. Sous-entendant : on les aura tous, tôt ou tard. » (Jean Portante, La Triste et Improbable Histoire du cheval de Troie, in Luxembourg, les Luxembourgeois. Consensus et passions bridées)

Dialecte franconien

« Le luxembourgeois ? Dialecte franconien, dit le dictionnaire. Plutôt un allemand dénaturé, chuintant et alourdi, dans lequel viendraient périodiquement se glisser des mots français, aussi reconnaissable que des paysans grimés. Il en est pourtant qui aiment cette langue, à laquelle ils trouvent des intonations primitives et fortes. » (Gilles Ortlieb, Gibraltar du Nord)

Eldorado

« L’hôtel du théâtre a disparu comme le cinéma Eldorado,

place de la gare, ou la boutique de la rue de l’Eau

où l’on vendait des tissus aux couleurs rares.

Les financiers ont maintenant appris le chemin

de la ville basse, qu’ils arpentent le matin

en petite troupe bien mise, les maisons voisines

se vident lentement de leurs familles d’émigrés

italiens et portugais, et je ne suis plus sûr

moi-même, en passant devant le café des Faubourgs

récemment condamné, de me reconnaître toujours. » 

(Gilles Ortlieb, Petit-Duché de Luxembourg)

Émigrer

« Dormir sous un manteau déplié à l’hôtel du théâtre

pour tâcher d’épaissir, d’étoffer un peu

les nuits fines et fragiles de l’étranger.

Le jeune homme de la réception voudrait, dit-il,

émigrer en Afrique du Sud (mais c’est lui

que je reverrai d’ici quelques mois, portant 

veste moutarde pour guider les visiteurs 

dans les salles du palais grand-ducal). (…)

Sombrer tout doucement, sans rideaux,

devant deux mansardes jumelles, puis le reprendre

au matin son manteau, roulé, fripé

comme on s’éprouve souvent soi-même,

à l’étranger. » (Gilles Ortlieb, Petit-Duché de Luxembourg)

Étang paneuropéen

« La société luxembourgeoise toute entière me fait gerber. Du matin au soir, j’ai honte d’avoir vu le monde dans ce pays. Je vais déchirer mon passeport. Voilà, je ne suis même plus un Luxembourgeois. La seule chose qui me retienne encore dans ce pays de merde, c’est mon étang. Mon étang n’a pas de nationalité. C’est un étang paneuropéen. Un trou d’eau intercontinental. Un biotope extraterritorial. ‘Tu piges ?’ Je comprenais. » (Guy Rewenig, La Cathédrale en flammes )

Eurobus

« 18 heures. Liste de commissions trouvée dans le gazon, près de l’arrêt de l’Eurobus qui dessert les ‘institutions’ : CebolasBatatasOleoAçucarOvosNavosCrojetesSalPoupa de tomate. L’autobus, qui arrivera bondé à cette heure, s’apprête à transporter en surimpression, sur fond de neige oblique, sa cargaison de passagers du ‘tertiaire’ à destination du centre-ville et de la gare. » (Gilles Ortlieb, Le Train des jours)

Event

« C’est mardi, j’ai mon tête-à-tête avec Monsieur le Fonctionnaire. (…) Il dit : Le sida ? Tu as couru contre le sida ? Je dis : Mais oui, Monsieur le Fonctionnaire. Ce genre de course est très en vogue au Luxembourg. Il faut courir deux, trois tours, ensuite le sponsor verse un euro par tour achevé. (…) Je commence vraiment à plaindre Monsieur le Fonctionnaire. Il peine à percevoir les tenants et les aboutissants de la société luxembourgeoise. La course contre la misère, c’est un gadget très cool. Et puis, c’est un event. Quand j’ai couru contre la peine de mort aux États-Unis, j’ai eu droit à une coupe de crémant après six tours bouclés. Lors de la course contre la guerre en Irak, c’était plus relaxencore. On a servi des canapés. Mais quels canapés ! Du saumon fumé marié à l’ananas rôti ! J’ai couru dix tours supplémentaires. Rien que pour les canapés. Et contre la guerre, bien sûr. » (Guy Rewenig, Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou)

Familier

« L’assignation à une résidence qui se refuserait à devenir, malgré tous les efforts, domicile. Un exil sans cause apparente, et donc d’autant plus enracinée. Mais, puisque les circonstances ont décidé à notre place de l’endroit où vivre, s’efforcer de ne pas garder rancune à l’endroit et regarder au moins autour de soi. Encore et encore jusqu’à ce que l’autour-de-soi finisse par devenir, sinon transparent, du moins reconnaissable et familier. Affranchi, par imprégnation, de l’étranger. Ce qui a pu sembler d’abord insolite – ces magasins ‘Cactus’, ces autobus ornés d’une grosse fraise rouge et dont les flancs précisent ingénument La Fraise – n’a pas vraiment cessé de l’être, mais on finit lentement par oublier qu’il l’a un jour été. » (Gilles Ortlieb, Gibraltar du Nord)

Fête nationale

« Aujourd’hui fête nationale. Feu d’artifice à Ahn, m’a-t-on dit. Comme l’année où je suis arrivée – accueillie devant la porte par des fleurs rouges plantées dans un grand pot, cette attention de dame à dame. 

Ses géraniums, la fierté de Catherine assise sur le banc rouge et blanc. Il s’écaille. Amarré à la rue déclive poussant à l’eau par le cimetière. Par-dessous, les fourmis s’affairent, mimantes, étrangères, suffisamment petites pour faire une île d’un pavé. » (Hélène Tyrtoff, Mes vieilles dames, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Foot

« Eh bien, tout luxembourgeois qu’il est, papa, sa vraie nature se déchaîne chaque fois qu’un match de foot oppose quelque équipe que ce soit à la squadra italienne. Alors, le temps d’un match, il oublie sa naturalisation et tout et se met à hurler comme un ours en faveur des bouffeurs de macaronis, et cela au milieu de ses copains luxembourgeois. » (Jean Portante, Mrs Haroy ou La mémoire de la baleine)

« Je sens que je deviens de plus en plus luxembourgeois. Car je raffole du football. Il n’y a rien de plus patriotique que le football. Un jour, j’ai assisté à un match de division nationale. Et qu’est-ce que j’y vois de mes propres yeux ? Grand Marabou ! Un Africain sur la pelouse ! Si un Africain joue en division nationale, cela signifie qu’il est Luxembourgeois, n’est-ce pas ? Il avait une technique impeccable, mon frère ! » (Guy Rewenig, Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou)

Goulasch

« Paul ne jure plus que par le goulasch, deux fois par semaine, chaque lundi et chaque mercredi. Pour que la libéralisation tienne bon en Hongrie. Et il arrose ça avec du rioja espagnol. Il faut que les Basques profitent aussi de nos manifs gastronomiques. Carmen a un peu plus de problèmes. Pour saluer l’intifada en Palestine, elle ne jure plus que par une salade de serpents jordanienne. » (Guy Rewenig, La Cathédrale en flammes)

Help from Europe

« A charity gala is a charitable event at which a select few breadcrumbs are carefully scratched out of every caviar can, lovingly packaged and flown out to the famine-striken regions of Africa. » (Guy Rewenig, Your Heart of Ice is Hot as Vice)

Hond oder Cão

« Dem Hond hate mir nach keen Numm ginn, um hëlzene Briet stoung Hond an donieft, dat wollt de Mann vun der Ma(da)mm sou, Cão. Wa seng Elteren aus Portugal op Besuch wieren, dat hat hie gesot, sollte si wëssen, datt hei ee Mupp begruewe läit a kee Mierschwéngchen, Elefant oder Tiger. Natierlech huet kee gelaacht, wéi hien dat sot, beim Mann vun der Ma(da)mm huet ni ee gelaacht. Ech hunn ëmmer just op seng graff Hänn gekuckt, virun deenen ech deemools schonns Angscht hat. Ënner Hond Cão stoung nach 10. Abrëll 1981. » (Samuel Hamen, V wéi vreckt, w wéi Vitess)

« D’Buschtawen um Kräiz ware bal net méi ze liesen, den groelzeg, de Rescht net z’entzifferen. An d’Joer? ’81 oder ’82? Wéini hat de Serge seng Doc-Martens-Phas? Den Edding ass dann extra breet, an et fillt sech u wéi bei der Joffer Bache. Linn fir Linn, schéi propper, bravo, Devid. Hannert Hond hunn ech gezéckt, kuerz just, an dunn een hannendru gesat. Domat war op eemol alles kloer a richteg a liicht: Honda Cão. Endlech e Bild, dat gräift, dat zoupéckt, do ënnen, duecht ech deemools, geschléckt vun der Däischtert, hei, ënner mir, denken ech och elo nach, een ugeraschtenen Auto, ouni Dieren a Capot, just e crevéierte Pneu hanne lénks, den Daach voller Bëlsen. Zënterdeems gëtt et en, de berühmte Cão-Modell vun Honda, honnertdausend Mol produzéiert, Här Coster, an engem risegen Autoswierk viru Seoul oder Tokyo, anzwousch do hannen, an zënter Mëtt Mee 1987 ausgeliwwert an déi wäit wäit Welt, iwwerall hin. Jiddweree wollt ee Cão. » (idem)

Houre Preisen

„Bei eis gouf et am Zesummenhang mat den Houren nëmmen de Preiss. Iwwer déi houre Preisen ware se sech all an der Famill eens, an ech wousst och, wat do derhanner géif stiechen. Mäi Grousspappp war am Krich an der Resistenz gewiescht an huet méi dacks dovu verzielt. Dat d’Preisen eng ekelhaft Rass waren an net anescht wéi mat Bezeechnungen wéi Houer oder Sau zesummebruecht konnte ginn, war mer kloer, awer datt e Mann wéi de Jiddchen och an deen Zesummenhang konnt gesat ginn, hunn ech net verstan.“ (Nico Helminger, Net op d’Erzéiung erafalen…, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Identity Loss

« Identity – condition of an individual who immediately recognises himself in the mirror. Identity loss may be due to excessive import of foreign mirrors. » (Guy Rewenig, Your Heart of Ice is Hot as Vice)

Incomplete Definition 

« identity, noun, that certain something which distinguishes a community from all others. Despite vehement assertions to the contrary, identity actually does exist. Why else would the sky, under which we all live, change names every few thousand kilometers? Or let me put it like this: How could someone who says ‘cielo’ live among people who say ‘sky’ ? » (Guy Rewenig, Your Heart of Ice is Hot as Vice)

Intégration

« Quand je rencontre le mot intégration, je change de trottoir. Lui vient toujours en mauvaise compagnie. Lexicale et sémantique. Comme des gardes du corps de la pire espèce, barbouzes lui collant à la peau, ceux qui l’escortent sèment la peur. Intégrer : inclure, incorporer, assimiler. N’être entier, intégral, qu’une fois intégralement intégré. Intégrables de tous les pays, unissez-vous, car d’intègre à intégrisme il n’y a qu’un cheveu. Refus de toute évolution. Mir wölle bleiwe wat mir sin. Restons ce que nous sommes, restons-le jusqu’à la fin des temps. Gare au cheval de Troie ! » (Jean Portante, La Triste et Improbable Histoire du cheval de Troie, in Luxembourg, les Luxembourgeois. Consensus et passions bridées)

Jiddchen

„Dem Marco seng Famill zum Beispill hat eng ganz aner Opfaassung vum Jiddchen wéi eis Famill. De Jiddchen, e Schräiner a Miwwelhändler – ech mengen, en huet Hirsch geheescht, sinn awer net sécher; op jidde Fall erënneren ech mech drun, datt säi Jong gedoe gouf, zing Mol ganz séier hannereen ze soen: Hirsch heisst mein Vater –, de Jiddchen also, dee bei eis gutt ugesi war – e gudden Handwierker, sot mäi Papp – gouf beim Marco ëmmer nëmmen den houre Judd genannt.“ (Nico Helminger, Net op d’Erzéiung erafalen…, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Juke-box

« Toussaint. Deux journées fériées, de silence ouaté et presque absolu. Échanger tout de même quelques phrases avec la patronne du ‘Café du Coin’, fréquenté par des Portugais joueurs de cartes et lecteurs assidus de journaux sportifs. Au-dessus du comptoir, une affichette annonce, en lettres maladroites : Ha gambas, codornizes, camarao(‘Il y a des gambas, des cailles, des crevettes’). Des silhouettes s’agitent silencieusement sur la pelouse au vert acide, trop cru, d’une télévision enjuponnée d’un galon de dentelle. Près de la porte, un gars d’une vingtaine d’années s’acharne contre le billard électrique en lançant des coups de pied dans le vide, cependant que le juke-box débite une chansonnette dont le refrain demande, pour la troisième fois maintenant : ‘Comment que ça va ?’ et répond en mesure : ‘Comme ci, comme ci comme ci, comme ça’. » (Gilles Ortlieb, Gibraltar du Nord)

Kartdidentité

„Un deen Dag wou ech Auslänner gi sinn… kann ech mech nach ganz genau erënneren. Also, net un dee genauen Datum. Eischter un dee Moment.  Un de Kader. Nët wéi bei menger Mamm. Bei hier ass dat méi einfach.  Bei hier war et den 23. Oktober 1963. Den 22. Oktober war si nach Stacklëtzebuerger.  Den 23. ass si Auslänner ginn. Italiener, fir genau ze sinn. Well se een Italiener bestuet huet. Si huet missen hier Kartdidentité ofginn. Si krut eng Friemekaart an d’Plaz. A vun den Italiener ee schéine grénge Pass. Gutt, dass se schons e bëssen Italienesch schwätze konnt. Mat lëtzebuergeschem Akzent, mee ëmmerhin … Hei zu Lëtzebuerg ware mir nach ëmmer sou frou mat Auslänner. Mir konnten der einfach ni genuch kréien. A wann der net genuch komm sinn, dann hu mir der einfach hei gemaach…“ (Tullio Forgiarini, Un deen Dag wou ech Auslänner gi sinn, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Kimono

« yuki, elle, elle a un komini. à chaque fois maman me reprend. la mini, c’est la voiture. le kimono, c’est la robe de yuki. répète : la mini et le ki-mo-no. maman a une mini. c’est la plus petite voiture de la rue. et yuki a un kimoni. c’est une robe qui vient du japon. c’est ce qu’elle dit. le japon, c’est le pays où les gens ont les yeux bridés. comme en chine. sauf que c’est dans l’autre sens, les yeux bridés je veux dire. elle m’a dit que son père est japanes. maman a dit qu’il ne faut pas dire japanes. c’est japonais. même si le pays s’appelle japan ? » (Alexandra Fixmer, la reine du lampertsbierg. une enfance luxembourgeoise)

Kirchberg

« Tour de Babel, l’image serait un peu trop facile. Et puis la première, l’originale, celle de Nemrod et des descendants de Noé, n’était pas électrifiée, que je sache. Et pourtant, comment s’empêcher d’y penser lorsqu’on se trouve convoyé dans les étages en compagnie de deux traductrices polonaises, de deux secrétaires néerlandaises ou lituaniennes qui reviennent de fumer une cigarette dans « l’aquarium » du rez-de-chaussée, d’un Danois austère et de deux Italiens racontant dans le détail une péripétie automobile survenue pendant le week-end ? Lorsque les babéliens doivent échanger entre eux, je veux dire hors de leur communauté d’origine, c’est le plus souvent en français, un français teinté d’accents, inégalement chantant ou contraint, et chargé de véhiculer quelques plus petits dénominateurs communs :

-Ça va ? Vous n’avez pas trop à faire chez vous ?

-Et hier soir, pour la permanence, vous êtes restés jusqu’à quelle heure ??

-Quel temps, hein… On y a cru, mais c’était pas encore le printemps…

-Ça commence à aller mieux, oui. Vivement vendredi, et ça ira tout à fait bien…

-Bon allez, bon week-end et à lundi… » (Gilles Ortlieb, L’ascenseur in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)


« Bribes de dialogues, qu’il faut entendre prononcées en espagnol, portugais, italien (c’est-à-dire dans des langues plus ou moins accessibles), telles des conversations qui vous parviendraient depuis une maison voisine, au travers d’une haie ou par-dessus un muret bas. Rien à voir avec les très hautes et lisses parois dressées par les échanges en maltais, finnois, letton ou hongrois, par exemple – mais dont il n’y a aucune raison de penser qu’ils diffèrent radicalement, par leur teneur, de ce qui précède, aussi cryptée soit-elle.

Allez, bonne journée ! Que aproveche ! Boas ferias ! Powodzenia ! Veseli Praznitsi ! Pauza buna ! Geras konferencija ! Jó hétvéget ! Sikker rejse ! Tervetuloa takaisin ! Tajba kuncert ! Kaj slabo vreme ! Kalo taxidi ! À plus !...

Les semaines, les mois, les années passent – et on se rassure à penser que, outre les trousseaux de clefs tintinnabulant parfois d’impatience sur le chemin du garage, la chambre d’échos de chacun de ces ascenseurs n’a rien retenu – et ne retiendra rien – de ces apostrophes et bavardages quotidiens, sans fin reconduits ; et en quoi il ne faut sans doute voir, après tout, que la menue monnaie, les pièces jaunes, de rudimentaires rapports humains. » (idem)

« Il n’est, paraît-il, depuis plus d’un siècle, pas d’ascenseur qui ne soit équipé d’un système de freinage automatique censé empêcher, en cas de rupture d’un câble, toute chute intempestive. Par quelque effet de transmission mécanique ou autre, ce dispositif semble agir aussi sur les occupants de la cabine. Qui apparaît comme un sas inhibant tous les débordements, toute autre manifestation que celle d’une bonne humeur inégalement factice ou même parfois – sûrement – sincère. Et qui doit être parmi les tout premiers endroits où les frontières de l’étrangeté commencent, pour les nouveaux venus, à se brouiller et à se dissoudre, où les étrangers finissent peut-être par se sentir chaque jour de moins en moins étrangers. » (idem)  

L’America

« (…) un beau jour, juste avant la guerre, la grande guerre, celle de quatorze, elle a entrepris, en compagnie de son Nando et d’autres Nando, le voyage vers l’infiniment loin, vers l’infiniment riche, vers l’infiniment angoissant, vers ce petit pays et ce petit village du Nord dont ni elle, ni Nando, ni les autres Nando, ni qui que ce soit, ne savaient dire le nom, mais que tout le monde connaissait comme sa propre poche, bien que personne ou presque n’y ait jamais mis les pieds, car ceux qui partaient, étaient partis ou partiraient, allaient plus loin encore, vers l’infiniment plus riche encore, en Amérique, un nom plus facile à dire, et beaucoup moins angoissant, parce que l’America, c’était le paradis avec un nom italien, Americo au féminin, un nom doux et accueillant comme le sein d’une mère, un nom plein d’Histoire et d’histoires, alors que Lussemburgo était un nom aux sonorités lugubres, froides, dont personne ou presque n’avait jamais rien ou presque raconté, et ne redevenait aimable, hospitalier, que quand on se disait que ça se trouvait tout près de la France, la Francia, cette autre mère dont tout le monde parlait et que tout le monde connaissait comme sa poche, parce qu’il y avait du fer et du charbon dans le sol » (Jean Portante, Mrs Haroy ou La mémoire de la baleine)

Lion rouge

« Je salue donc avec infiniment de joie l’apparition du lion rouge. Tu sais pourquoi, Monsieur le Président ? Parce que c’est un hommage à l’Afrique ! En adoptant le lion, les Luxembourgeois s’ouvrent au monde. (…) Avec le lion, je me sens chez moi. Les Luxembourgeois sont généreux jusqu’à mettre l’Afrique sur leur drapeau. J’en suis très ému. Ils auraient pu choisir une bestiole bien de chez eux. Un ver de terre, par exemple, ou une limace. Mais ils ont magnanimement renoncé à un tel caprice nationaliste. Le lion rouge, c’est l’africanisation symbolique du Grand-Duché. » (Guy Rewenig, Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou)

Moïen

« Once upon a time I was very young and lived in Letzeburg and knew that all the people who lived in Letzeburg were Letzeburger. At least all those who said moïen. » (Pierre Joris, Moïen, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

 “To say moïen in Letzeburgesch like a Letzeburger is in fact very difficult. I know this because my brother-in-law who has lived in Letzeburg three times as long as I have, and who took classes to learn Letzeburgesch beyond the word moïen, still pronounces this word with a little accent that will make even a long-gone Letzeburger like myself notice that he must originally be from Belgium – as indeed he is, although he worked for the American Embassy all his adult life and should therefore say moïen with an American accent. But he doesn’t. He says it with the accent of his own childhood language which makes me think that maybe moïen is the equivalent of a chemical revealer of the foreigners’ mother tongues, his Jules Christophory textbook notwithstanding. Or maybe that’s what the title ‘Who’s afraid of Luxembourgish?’ secretly alludes to.” (Pierre Joris, Moïen, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

« ‘Moien’ »… des Français ont lu ‘moyen’. Ni grand ni petit? Distance moyenne ? Mi-chemin ?  Moyen de traverser ? Mot de passe ?

Au parloir vrombissant des langues d’ici, le luxembourgeois coule avec l’allemand dans la Moselle. Vers l’est. Et le russe… je pourrais toujours l’apprendre. Mais il a beau ondoyer, chatoyer, chouchoyer, il ne sera jamais mon russe, la voix ancienne, chantante, dont quelques touches dans le studio des grands-parents à Boulogne-Billancourt prenaient sens mêlé de sons inatteignables. Dans le jeu, la pièce manquante, labile, infusant dans les couches temporelles. Le murmure souterrain où se vident toutes les rivières, toutes les directions. » (Hélène Tyrtoff, Mes vieilles dames, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Nice People

 “Our friendliness towards foreigners is quite obvious: Even xenophobes make a point of exclusively driving foreign cars.” (Guy Rewenig, Your Heart of Ice is Hot as Vice)

Nord / Sud

« Les Fiancés était le seul livre que ma mère avait sauvé du naufrage, je veux dire de la traversée des Alpes, son éléphant d’Hannibal à elle, sa bouée, cachée dans sa valise parmi les saucissons, le fromage Pecorino et quelques affaires personnelles de jeune fille : parce que c’était ça qu’elle était, une jeune fille de dix-sept ans, quand mon père l’a persuadée à la fin de la guerre que quitter l’Italie au profit de Differdange ne pouvait que lui faire du bien. Le grand large quoi, avec des cheminées d’usine transperçant les nuages, alors que là-bas, dans son village à elle, ça sent la bouse de vache et on ne mange que du pain et de l’oignon, a-t-il dit. L’avenir industriel, contre le passé agraire. L’argent du Nord, contre la misère du Sud. Ta place est ici. » (Jean Portante, Mourir partout sauf à Differdange)

« Des parfums du sud alourdis par leur sinueux voyage. Cela évoque aussi des figuiers ployant sous le poids de leurs fruits dialoguant avec des vignes sulfatées, et Fred doit repenser à sa mère, au va-et-vient surtout qui l’a paralysée toute sa vie durant, aux choix qu’elle a été forcée de faire, au Nord qui a petit à petit mangé son Sud » (idem)

« JULIEN Comment... comment elle est... elle a... atterri chez toi ? (…) JEAN-FRANÇOIS Mais ça, c’est d’une évidence ! Toi, ça... (il montre le cadavre), ça ne te laisse pas indifférent, non ? JULIEN Non ! Je trouve... ça... affreux... JEAN-FRANÇOIS Révoltant ? JULIEN Oui... révoltant... JEAN-FRANÇOIS Une honte pour notre pays ? Pour l’Europe toute entière ? JULIEN Oui... une honte... JEAN-FRANÇOIS Un symbole de l’arrogance et de l’indifférence du Nord riche et pourri à l’égard du Sud pauvre et exploité ? JULIEN?(se bouche les oreilles, crie) Oui, oui, oui... JEAN-FRANÇOIS Tu vois ! Alors que moi, je ne trouve pas. That’s why, c’est ton problème et pas le mien. JULIEN Oui, mais... ils sont si nombreux... tellement nombreux... JEAN-FRANÇOIS Tu as raison. Mais dans notre cas, il s’agit d’un seul. Un seul petit problème pas bien lourd. A peine 50 kilo je dirais... tu devrais quand même y arriver : de l’empathie pour 50 kilos... 50 kilos tout trempés en plus. Sec, ça... JULIEN Tu te fous de ma gueule... JEAN-FRANÇOIS Pas du tout ! C’est vraiment plus ton problème que le mien ! Tu te sens concerné, non ? » (Tullio Forgiarini, Du ciel)

Oldies but goldies

« Nous vivons dans le pays des feux de paille. D’un seul coup l’enthousiasme s’emballe pour une cause. (…) Tout le monde se rue soudain sur les affiches politiques. On fait presque la queue devant mon atelier. Les coups de fil pleuvent, jour et nuit. T’as encore quelque chose sur le Viêt-nam ? C’est de nouveau à la mode. Oldies but goldies. L’Argentine non plus n’a rien perdu de son charme. Le Nicaragua est de toute façon à l’ordre du jour. La Palestine, c’est in. Comment, t’as pas encore bossé sur la Palestine, Dennewald ? C’est incroyable ! Et le Mozambique, tu te le tapes quand, le Mozambique ? N’oublie pas Cuba, Dennewald ! En une seule journée, je brade six Botha, quatre Reagan, sept Dames de Fer. » (Guy Rewenig, La Cathédrale en flammes)

Patriotic Rule (Including Exception)

“If you do not speak Luxembourgish, you cannot be a Luxembourger. Except all those who obediently shut their trap. We don’t mind them being silent in Portuguese.” (Guy Rewenig, Your Heart of Ice is Hot as Vice)

Phantasialand

« Här Schmitz. Eise Schoulmeeschter. Hie wollt mat eiser Klass an d’Phantasialand fueren. Megacool wär et do. Sot de Laurent. Esou wei d’Schueberfouer, jüst nach méi cool. Piraten, Indianer a Chinesen. Awer net ganz richteger. D’Piraten op alle Fall. A Spiller fir ze faërten, awer net ganz laang. A jüst fir de Fun. Just fäerte fir de Fun. An all Spiller gratis. (…)

Ech hunn een Dag am Phantasialand geliewt.

Mä dat geet iech näischt un. » (Tullio Forgiarini, Phantasialand in Iwwer Bierg an Dall. Lëtzebuerger Auteuren op der Rees)

Pollacken

„D’Famill zum Beispill, déi e puer Haus méi wäit gewunnt huet, dat ware Pollacken. Dat heescht, ob se all Pollackewaren, weess ech net, et goung meeschtens Rieds vun engem, dem Pollack. (...) Wéi laang hunn ech gemengt, e Pollack wier een, deen drénkt. Sou wéi ech och réischt méi spéit wierklech verstan hunn, datt Zigeiner eppes anescht bedeit wéi falschen Hond.“ (Nico Helminger, Net op d’Erzéiung erafalen…, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

« Olga, ma sœur venue de Pologne, est très appliquée. Elle parle déjà couramment le luxembourgeois. Mais Madame le Professeur dit que c’est de l’allemand. Dur, dur ! Comment savoir, Monsieur le Président, où commence l’allemand et où finit le luxembourgeois ? Et si l’allemand, c’était aussi du luxembourgeois ? Les Allemands n’ont peut-être pas pigé. Il faut leur dire un jour. Ils seront très ravis.

Olga dit : In Luxemburg ist es schön. (…) Ich immer denken : In Luxemburg ist es schön. Polen ist eine große, aber dunkle Land. Luxemburg ist eine kleine Land, aber immer hell, immer so sauber. Ich mich gut gefallent in diese Luxemburg.

Pas mal du tout ! dit Madame le Professeur. Vous avez une approche très positive, Olga. Vous avez déjà trouvé un emploi ? Sie chon eine Platz gefunden ? Eine Platz, wie soll ich sagen, eine Arbeitsplatz ? Sie wischen die Dreck in eine große Haus. Vous voyez, on peut le formuler plus positivement. » (Guy Rewenig, Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou)

Putain d’ours

« Puis, il y avait l’ours, un cadeau d’un ami luxembourgeois de mon père. Cet ours m’ayant maintes fois sauvé la vie. Venu tout droit de Berlin, il se tenait debout, une couronne d’or sur la tête, exhibant dans ses pattes un minuscule livret dépliant représentant les principales attractions touristiques de ce qui n’était plus la capitale de l’Allemagne, du moins pas de la bonne Allemagne, disait mon oncle, mais bon, la politique on en reparlera une autre fois. L’ours en tout cas avait le droit de poser devant Tolstoï, et ça me plaisait. Il était la preuve que je cherchais, mon argument massue quand mes condisciples continuaient de me traiter de putain d’ours, épithète lancée, on le sait, à la figure de tout Italien à Differdange, ce qui était désormais un non-sens, l’ours, gentil comme tout, venant non des Abruzzes, mais de Berlin. Un peu comme eux. Ça, je ne le leur disais pas, pour ne pas m’embourber dans d’inutiles escarmouches, la guerre n’étant pas encore gagnable. » (Jean Portante, Mourir partout sauf à Differdange)

Quatorze Juillet

« Juillet tiède, à peine. Humer et reconnaître la tristesse verte et tranquille des étés dans l’Est, où le moindre coup de chaleur suffit à faire tourner un ciel qui n’y est pas habitué. Fond de Gras, La Madeleine, puis enjamber tout de même la frontière pour aller assister aux préparatifs du 14 Juillet à Longwy-bas. » (Gilles Ortlieb, Gibraltar du Nord)

« il y a chez ma mémé un jour magnifique en été où j’ai le droit d’aller en petites vacances et de me coucher très tard. (...) je monte sur une chaise et m’appuie contre le mur pour voir ce qui se passe dans la rue. (...) mémé m’a dit qu’ils partent de la mairie et qu’ils vont descendre la colline en direction de la frontière. d’abord il y a le maire. il est suivi d’autres personnes en costume et en robe (...). derrière eux, il y a la fanfare du village. il y a le gros tambour. d’jummdeckelen. deux trompettes. (...) je demande à mémé quelle chanson ils jouent, et elle me dit que cela devrait être la marseillaise. ils remontent ainsi bien tranquillement la route. parce qu’à la frontière, il y a les bieleser qui attendent. ils viennent en renfort, ceux de belvaux. avec le bourgmestre, les gens de la commune et la fanfare. (...) tous les enfants du village ont leur petit lampion à la main. mais personne n’a encore le feu à la mèche. mémé me dit que c’est pour quand il fera nuit. c’est pour ça que nous avons le droit de rester debout tard, pour mettre le feu au lampion du quatorzejuillet. » (Alexandra Fixmer, la reine du lampertsbierg. une enfance luxembourgeoise)

Prato do dia

« à Esch-sur-Alzette, en ce jeudi férié du 1er mai :

un chien roux court sur un écran de télévision

par dessus les rires, les éclats de voix et le prato

do dia pour effaroucher une bande de pigeons

d’un modèle identique à Lisbonne, Amsterdam,

Bruxelles et, sans doute, Sofia. Familles, enfants

en bas âge, jeunes gens assis devant une bouteille

de soda comme terrassiers dans un café de Porto. » (Gilles Ortlieb, Meuse, métal, etc)

Procession dansante

« Sur le sinueux chemin de la nationalité luxembourgeoise, les processions sont d’agréables raccourcis. (…) La procession que je préfère entre toutes, c’est la procession dansante d’Equéternaqué. Quand je l’ai vécue la première fois, j’ai failli mourir d’extase. Une gigantesque discothèque en plein air ! Ce qui m’a frappé sur le coup, c’est cette lancinante musique, cet électrifiant refrain dancefloor capable de réanimer tout le cimetière ! Ya’ba da’ba da’ba da’ba dab da’ba dab ! Et puis, le texte de la rengaine m’a étrangement rappelé une vieille chanson populaire africaine, très en vogue dans les rassemblements publics : A’dam ha’tta tsibè tseunè, tsibè tseunè ha’tta a’dam ! Cette musique avait sur moi l’effet d’un coup de fouet. Je me suis jeté dans la foule et j’ai dansé comme un fou. » (Guy Rewenig, Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou)

Qui suis-je ?

« Et moi, qui suis-je ? Moi, intégralement désintégré mais pas entièrement assimilé. Moi, vidé de moi mais pas entièrement rempli de cet autre moi faisant de moi l’égal des intégrateurs. Moi, avec en moi de nouvelles frontières généreusement offertes par les transvaseurs. Moi, appauvri par le voyage à travers l’espace et le temps. Moi, croyant plonger dans l’océan. Moi, baleine sans poumon. Moi, comme tout migrant, sacrifié de l’histoire. Moi, devenu assimilateur à mon tour, mais pas tout à fait, à cause de la chasse gardée des véritables assimilateurs. Moi, avec en moi cet autre moi qui me parle. Moi, avec, à l’extérieur de moi, mon moi d’antan qui me raconte la triste et improbable histoire du cheval de Troie. » (Jean Portante, La Triste et Improbable Histoire du cheval de Troie, in Luxembourg, les Luxembourgeois. Consensus et passions bridées)

Rital

« On n’est pas racistes, nous, putain de merde. Après tout, un Rital, c’est aussi un homme, non ? Pas de discrimination, pas d’atteinte à l’honneur, toi aussi avoir un compte à la Caisse d’Epargne, carissimo amigo ? En fait, il a même un livret d’épargne, ce salaud d’étranger, oooh, c’est cher ici, à Luxemburgo, la giustizia ! Donc, vive l’entente des peuples et l’amitié internationale ! » (Guy Rewenig, La Cathédrale en flammes)

« Les emblèmes impériaux des entrepreneurs italiens qui ont fait carrière dans le bâtiment et les travaux publics. Descendants, sans doute, d’immigrés venus s’installer dans le pays au début du siècle, tous ces Mattei Frères, Giorgio Benedetti ou Franco Pierrugi dont les initiales estampillent les palissades et les échafaudages, flamboient au sommet des grues comme les plus hautes enseignes de la réussite. » (Gilles Ortlieb, Gibraltar du Nord)

Rich man, poor man

« La maison des riches et la maison des pauvres. Toutes les deux sont dans la même rue, accolées l’une à l’autre, non loin d’une ancienne brasserie. La demeure de M. et Mme. Mersch et leurs enfants : perron sculpté, porte à ferrures, balcons fleuris et, à l’intérieur, pour ce qu’on peut en voir entre les rideaux damassés, plafonds à caissons, Gobelins sur les murs et lustres scintillants les soirs de réception. La maison des da Silva et de leurs deux petites filles : on y accède par la porte du garage, les fenêtres en sont souvent embuées par les lessives, les pièces crûment éclairés au néon et les murs extérieurs suintant d’humidité. M. da Silva est venu avec sa famille du Portugal pour être l’homme à tout faire de M. Mersch et prendre soin, en été, de ses vergers étagés sous les casemates. Ce qui n’empêche pas les quatre enfants de jouer souvent ensemble dans la rue, et de se poursuivre à bicyclette des heures durant. » (Gilles Ortlieb, Gibraltar du Nord)

Salade africaine

« Nous discutons parfois si on peut vraiment qualifier cette salade d’africaine. Je dirais plutôt que c’est une salade qui contient tous les rêves des Luxembourgeois à propos de l’Afrique. Elle est corsée, bon sang ! Elle est presque noire, voilà ! Elle est pimentée comme un steak de crocodile mariné au pili-pili, ouaah ! Que voulez-vous de plus, mes frères, mes sœurs ? Oui, j’oubliais, une précision technique : c’est un mélange de lentilles, d’anchois, d’huile et de vinaigre aromatisés, d’oignons finement hachés et de plusieurs condiments. Depuis peu, c’est le fast food favori des banquiers de la Ville de Luxembourg. » (Guy Rewenig, Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou)

Sardines

« Entre 73 et 78, j’avais constamment des intoxications de sardines. Tout le monde m’enfournait des pelletées de sardines du Portugal. C’était pour soutenir la révolution. Jusqu’à ce que les arêtes me sortent par les oreilles. » (Guy Rewenig, La Cathédrale en flammes)

Us et coutumes

« Monsieur l’Employeur a proposé à Géné de s’inscrire pour un séminaire. Us et coutumes du Grand-Duché. Géné a vociféré. Mais pourquoi diable s’imaginent-ils que je m’intéresse à eux, les Luxos ? Je ne viens pas pour m’assimiler, mais pour dépanner. Je m’occupe des gens tombés en panne. Crois-tu vraiment que ces gens-là sont friands d’us et de coutumes ? Laisse-moi faire mon travail. Ne me bourre pas de choses superflues. C’est déjà assez épuisant comme ça. Figure-toi que je sois luxembourgeoise. Et qu’il m’arrive de bosser dans la brousse aux alentours de Thionville. Que j’aie à soigner des Français déboussolés. Alors, à ce moment-là, est-ce que j’ai la moindre envie d’apprendre des détails sur les cornemuses de Bretagne ? Ou sur les bergeries des Pyrénées ? Ou sur les fêtes foraines dans le Nord-Pas-de-Calais ? » (Guy Rewenig, Le Chef d’orchestre à la baguette de bambou)

Yeux bridés

« la plupart du temps, les copains de l’école sont aussi au fuesbal, et dans la polonäse, forcément. (…) il y a aussi yuki dans ses habits de chinoise. maman me dit que ce sont des habits japonais. moi, je n’arrive pas à faire la différence entre les chinois et les japonais. les uns comme les autres ont les yeux bridés. les uns vers le haut, les autres vers le bas. je ne me souviens jamais les yeux de qui vont vers le haut ou vers le bas. » (Alexandra Fixmer, la reine du lampertsbierg. une enfance luxembourgeoise)

Weinstube

« Un jeudi soir ordinaire chez Heidi & Ossi, le ‘Bistro de la presse’, face au palais grand-ducal. On pourrait aussi bien se croire dans un relais de montagne en Autriche, dans le Gasthaus d’un village de Bavière ou dans un weinstubealsacien. » (Gilles Ortlieb, Le Train des jours)

Zigeiner

„Wa gesot gouf dat ass en Zigeiner!, wousste mer, wat gemengt war: een dee beduxt, déi aner uschäisst. Dat war dat, wat den Zigeiner ausgemaach huet: en hannerlëschtegt Wiesen. De Wiert zum Beispill um Eck fir erof bei d’Gare, dat war een, en Zigeiner, well hie mat der Forschett gerechent huet.“ (Nico Helminger, Net op d’Erzéiung erafalen…, in En partage. Le Luxembourg d’ici et d’ailleurs)

Photo: Laurent Bonzon (CC)

Corina Ciocârlie, née à Timisoara, vit et travaille à Luxembourg. Journaliste et critique littéraire, elle enseigne la littérature comparée et la dramaturgie en Europe à l’Université de Luxembourg et à l’Université de Lorraine, ainsi que la théorie et la pratique de l’édition à l’Université de Bucarest. Son domaine de prédilection est la géographie littéraire ; la traversée des frontières, sa spécialité. Elle est notamment l’auteur de Laisser-Passer. Topographie littéraire d’une Europe des frontières, 2004 ; În cautarea centrului pierdut [À la recherche du centre perdu], 2010 ; Il n’y a pas de dîner gratuit, 2011 ; Un tarm prea îndepartat [Un rivage trop lointain], 2013 ; Prendre le large, 2014 ; Dictionar de locuri literare bucurestene [Dictionnaire des lieux littéraires de Bucarest], 2019.

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